L'Édito

Roosevelt aurait légalisé le cannabis

Jean-Félix Savary
08.06.2020

Le 5 décembre 1933, le président Roosevelt décidait de mettre un terme à la prohibition de l’alcool aux États-Unis. Plongés dans une crise économique sans précédent, avec des recettes fiscales en chute libre, les USA trouvaient la force de dépasser une posture morale historique et décidaient de tourner la page d’une catastrophe sanitaire et sécuritaire, pourtant ancrée dans une constitution américaine quasi intouchable. Cette réforme va faire chuter la criminalité aux USA, ce qui est bien connu. Mais elle va surtout permettre de soutenir l’ambitieuse politique de relance de l’époque (le New Deal), dans le contexte de crise économique sans précédent que traversait le pays à l’époque. Très vite, on observe une augmentation des recettes fiscales, et le rapatriement dans l’économie américaine de tout un secteur florissant.

Franklin Delano Roosevelt est considéré comme l’un des plus grands présidents de l’histoire des États-Unis. Il restera d’abord celui qui a vaincu Hitler, le fondateur des Nations Unies et le promoteur d’une politique de relance économique keynésienne. Lors de la tornade de la grande dépression, il a su saisir le moment pour oser des réformes audacieuses, comme la lutte contre la corruption dans les banques (les fameux banksters), l’adoption de plans de relance sans précédent (les grands travaux), et donc, lever la prohibition de l’alcool. Si Roosevelt s’est engagé sur ce chemin nécessaire, ce n’est pas parce qu’il a compris que la prohibition ne marchait pas. A cette époque, comme aujourd’hui d’ailleurs, tout le monde avait compris que la guerre aux psychoactifs est contreproductive. Il ne s’agit pas non plus d’un courage particulier, plus développé chez Roosevelt que chez d’autres. Non. Le seul mérite que nous pouvons lui reconnaître sur cette question est d’avoir compris le bon timing.

Aujourd’hui comme alors, il y a toujours de bonnes raisons à reporter des réformes pourtant jugées nécessaires. Ces raisons sont d’ordre historique, culturel ou contextuel. Le statu quo se prolonge et ne convainc plus personne. Le rôle du politique est alors de repérer une ouverture dans la grisaille, identifier les moments clés de mutations profondes où le débat peut renaître. Ce momentum où le changement (re)devient possible permet de réorganiser les priorités en fonction d’une situation nouvelle et de trouver un nouvel équilibre qui bénéficie à tous.

La crise économique sans précédent que nous lègue le SARS-COV-2 est justement un de ces moments. Partout, les États doivent faire face à des besoins gigantesques. Ces dépenses nécessaires font l’objet d’un consensus, ici comme ailleurs, et on ne peut que saluer ce volontarisme des pouvoirs publics. Par contre, pour sauver l’économie et l’équilibre budgétaire de notre pays, l’État cherche de nouvelles recettes fiscales. Il cherche également à se retirer de certaines tâches, jugées non essentielles, voir inutiles. À l’aune de ces critères, la prohibition des drogues illégales ne tient plus. Conspuée par les milieux intéressés, cette politique coûte cher, et défiscalise de fait un marché lucratif, en enrichissant des réseaux criminels insaisissables.

En temps de crise, il est temps de lever la prohibition. Comme Roosevelt l'avait compris lors de la grande dépression, les moments de crise apportent aussi des opportunités pour transformer et adapter nos politiques et moderniser la société. La Suisse vient de se remettre sur le chemin de la raison, en autorisant à nouveau la recherche sur le cannabis. Si cette décision est à saluer, elle ne règle par la question de fond, qui reste la légalisation. Si la recherche pourra nous permettre de trouver une régulation optimale, elle ne saurait se substituer à la décision politique. Malgré la désinformation portée par certains milieux, malgré le peu d’intérêt du Conseil fédéral, le temps de bouger est venu. Une décision peut augmenter les ressources fiscales, baisser les dépenses de l’État et augmenter la sécurité publique. Prenons-la. Une porte vient de s’ouvrir.

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Jean-Félix Savary