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"Drogues : un échec annoncé" analyse 40 ans de politiques drogues

25.05.2016

Dans son ouvrage "Drogues: un échec annoncé - 40 ans de lutte contre l'ineptie de la prohibition", le juriste et criminologue Christian-Nils Robert dresse une analyse des quarante dernières années en matière de politiques drogues en Suisse et à l'étranger et invite à s'interroger sur leur inefficacité. Son livre est paru en avril 2016 chez Georg Editeur.

Présentation de l'ouvrage : Jean Martin, ancien médecin cantonal vaudois

Christian-Nils Robert est professeur honoraire de droit pénal à l’Université de Genève. Son livre montre son combat dès les années 1970 contre les ides reçues (pour une bonne part importées dans la foulée de la « Guerre à la drogue » décrétée par Richard Nixon) rappelle de vifs souvenirs chez ceux qui ont été impliqués alors dans les questions relatives aux drogues et à la toxicomanie.

Je l’ai été depuis 1976. Je revenais de l’étranger après avoir pu observer la « scène » des Etats-Unis, avec entre autres la consommation à large échelle de marihuana dans la population jeune. Je n’étais ainsi guère prohibitionniste (ai à l’époque écrit à une dame âgée de mes proches qu’elle verrait le jour où le cannabis serait vendu en kiosque comme le tabac - me suis bien trompé). La position affirmée du prof. Robert m’était néanmoins apparue très libérale…  Au reste, quelle qu’ait été mon opinion, j’ai travaillé alors sous des responsables politiques aux thèses très rigoristes voire punitives - et erronées (mais ma liberté de parole était limitée).

C.-N. Robert a notamment observé les dégâts qu’occasionnait la prohibition alors qu’il était directeur du Service genevois de protection de la jeunesse - prohibition renforcée en Suisse depuis un arrêt du Tribunal fédéral de 1969. Et il a  écrit et dit des choses tout à fait « défrisantes » pour la doxa de l’époque. Il était bien seul en Suisse romande si mon souvenir est bon (quelques médecins alémaniques s’engageaient dans le même sens).

Ce livre regroupe, sans modifications, ses écrits au cours de quatre décennies sur la politique de la drogue. Le moins qu’on puisse dire est que cela « donne à réfléchir » sur la lenteur de l’évolution des attitudes et prescriptions légales ; une lenteur à voir et admettre la réalité. Ceci dit sans préjudice à l’action pionnière de la Suisse, sous l’égide de Ruth Dreifuss en particulier, dans la mise en oeuvre de la politique dite des quatre piliers : prévention, répression, thérapie et réduction des risques. De manière intéressante, l’auteur met en parallèle de chaque article repris des citations de la « Global Commission on Drug Policy » dans son rapport « Prendre le contrôle: sur la voie de politiques efficaces en matière de drogues ».

A l’heure où rares sont ceux qui défendent encore une doctrine prohibitionniste qui échoue depuis un demi-siècle, et où la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues a pris depuis des années des positions ouvertes et éclairées, on pourrait dire que cet ouvrage a un caractère historique, de témoignage d’engagement. Mais il est bon, primo, de relever que Robert a eu largement raison avant les autres et, segundo, de se remémorer les funestes enchaînements et rigidités qui marquent cette histoire – le blocage de démarches pragmatiques par un arbitraire doctrinal éloigné de la réalité.

L’ouvrage bénéficie d’une préface de la journaliste Sylvie Arsever, remarquable observatrice des faits politiques et sociaux liés à la politique de la drogue. Qui dit : « Ces textes documentent non seulement le combat mené par quelques courageux obstinés, dont l’auteur, pour un peu de rationalité dans la gestion du problème, [mais] aussi un implacable engrenage législatif et juridique, dont les conséquences paralysent encore aujourd’hui les intelligences ». Elle évoque, à l’époque, la « montée en puissance d’un droit pénal tentaculaire, érigé en rempart des valeurs sociales et morales - une prolifération tumorale, une inflation punitive ». Fortes paroles. Son espoir est mitigé de voir la raison s’imposer rapidement. « Les effets pervers de la prohibition, dénoncés dans les pages qui suivent, sont si apparents que peu les contestent. [Mais] l’imaginaire mondial, hanté par le martyrologue des tombés au combat contre les mafias et les cartels, continue à lier la drogue et le crime (…) L’Assemblée générale de l’ONU consacrée à ce thème sera-t-elle celle de l’armistice ? Rien n’est moins sûr – avec  un discours onusien jusqu’ici tétanisé par la prohibition » (les résultats de dite assemblée, tenue en avril 2016 à New York, ont en effet été très modestes).

Aussi graves et chroniques que soient les problèmes et drames liés aux drogues, il est vrai que les gouvernements sont confrontés à de multiples autres défis, dont certains (qui semblent) plus aigus. Tous nous nous sommes peu ou prou habitués à la présence des drogues et de leur usage dans nos sociétés. Il faut voir aussi que de puissants « vested interests » ont beaucoup à perdre dans une approche plus raisonnable et moins traumatisante pour les usagers, promouvant la règlementation plutôt que les prohibition et criminalisation simplistes. Ces intérêts ne sont pas ceux des seuls trafiquants et mafieux, mais bien aussi liés aux énormes administrations chargées de mettre en œuvre la « Guerre  à la drogue », au niveau des Nations-Unies, des gouvernements à différents niveaux et de leurs bras armés les services de police – services perturbés d’entendre dire que leur combat  n’était pas un bon combat.Le professeur Robert a eu raison de rassembler ses prises de position au cours du temps, illustration des efforts  de quelques  « Querdenker » (francs-tireurs) qui ont posé très tôt, sans être entendus, de très bonnes questions.