L'Édito

17 juin 2021 : La guerre à la drogue a 50 ans, bientôt le clap de fin ?

17 Juin 2021  
Romain Bach
17.06.2021

Le secrétaire général adjoint du GREA revient sur les 50 ans de la guerre contre les usages de la drogue à l'occasion du mois sur la décriminalisation des substances.

La criminalisation des usages de drogues ne repose sur aucune base scientifique. Pendant des milliers d’années, les substances étaient utilisées à des fins sociales, curatives ou encore spirituelles, en fonction de leurs disponibilités, des connaissances traditionnelles et des échanges marchands et culturels. Pourtant, aujourd’hui tout se passe comme si la prohibition était une donnée fondamentale de nos sociétés et les drogues un fléau biblique. La prohibition des drogues fait partie de l’inconscient collectif : présente dans l’éducation, dans les séries policières et dans les médias. En revanche, l’alcool ou le tabac sont souvent perçus de manière différente, comme des produits alimentaires ou des éléments culturels. Si l’alcool est bien une substance produite depuis longtemps sous nos latitudes, le tabac arrive en Europe par les colons qui le ramènent du « Nouveau Monde ». D’autres produits « exotiques », comme le cannabis, font également partie de nos cultures, aujourd’hui comme hier. L’élément culturel n’est pas opératoire. Nous allons le voir, il y a d'abord une histoire du trafic de drogue, formalisé dès le XIXe siècle par des États comme le Royaume-Uni ou la France. Ensuite vient une construction d’un imaginaire de "guerre à la drogue" pour des raisons qui s’inscrivent dans le contexte politique américain et mais pas dans l’histoire.

En effet, le trafic de drogue a été inventé par les États occidentaux à travers leurs politiques coloniales. Quand la Chine a voulu restreindre l’accès à l’opium sur son territoire pendant le XIXe siècle, ce sont les puissances occidentales qui ont pris les armes pour imposer le lucratif commerce de cette substance. Un marché financé d’ailleurs en partie par la fameuse banque HSBC, qui reste un acteur important du commerce international. Et la France défendait bec et ongle son monopole de la vente de l’opium en Indochine tout en organisant le commerce du cannabis marocain à travers sa régie du kif. Sur les marchés où le profit prime, les drogues sont d’excellents produits, peu importent les externalités négatives. En Europe même, le commerce était peut-être plus discret, mais la consommation de substances courante entre usages par des soldats perclus de douleurs et traumatisés après des guerres violentes ou expériences protopsychédéliques d’artistes que vous avez certainement lus. En somme, on a utilisé la force pour construire un marché international de la drogue. C’est plus tard que le discours a radicalement changé et qu’on oriente le discours sur la guerre à des substances.

La « guerre à la drogue » a 50 ans exactement aujourd’hui. Cette invention est attribuable à Richard Nixon et à sa triste équipe lors de son discours martial du 17 juin 1967. La fameuse interview de John Erlichman en 1994 relatée par Harpers donne des clés de compréhension. Ce proche de « Tricky Dick » a déclaré en substance que l’équipe de campagne puis l’administration Nixon avaient deux ennemis : la gauche opposée à la guerre du Vietnam et le mouvement des droits civiques de la communauté noire. Il était trop difficile de rendre illégales des positions politiques ou une couleur de peau. Par contre, en faisant une campagne publique qui associait les « hippies » à la marijuana et les Noirs à l’héroïne puis en criminalisant lourdement ces groupes, il serait possible de détruire la crédibilité de leurs messages. Leurs chefs pourraient être arrêtés, les rencontres perturbées et les gros titres seraient ravageurs auprès de l’opinion publique. Mais le rôle des drogues dans tout cela était un raisonnement fallacieux. Cette propension à manipuler l’opinion, symbolisée par l’affaire du WaterGate, venait d’entrer dans la stratégie électorale américaine. Timothy Leary, psychologue de renom devenu symbole de la contre-culture psychédélique, était l’homme le plus dangereux d’Amérique selon Nixon. Sa campagne avortée au poste de gouverneur en Californie contre un certain Ronald Reagan aurait été perçue comme trop agressive et lui coutera certainement la liberté — l’hymne de cette campagne un peu oubliée appartient à la postérité. Les effets de la guerre à la drogue sur la minorité afro-américaine sont gigantesques et documentés notamment par Michelle Alexanderun avec le "nouveau Jim Crow" . Rappelons que les États-Unis comptabilisent le quart des prisonnières et prisonniers de la planète, alors qu’il ne compte que 5 % de la population.

Nixon a laissé une marque durable dans les esprits dont nous peinons à nous extraire. Le mensonge est devenu un outil rhétorique central dont le président Trump fut un exemple frappant. La guerre mondiale contre les drogues et surtout sa mise en œuvre axées sur la répression a détruit des vies, restreint la recherche, brûlé des écosystèmes, généré de nombreux déplacements forcés de population et instaurés un système de prohibition généralisé. Elles l’ont fait sans recul sur l’histoire et ont contribué à renforcer le pouvoir et les moyens du crime organisé, aujourd’hui globalisé. Pour le reste, la guerre à la drogue est un échec retentissant dont les efforts ont été dirigés en particulier sur les usagères et usagers de substances. Pourtant des solutions simples peuvent faire effet très rapidement. La régulation des produits doit être l’objectif d’une politique drogues ambitieuse et efficace pour reprendre progressivement le contrôle sur les drogues. Mais pour avancer sur ce dossier, il faut être pragmatique, c’est le sens du mois #DrugDecrim. La décriminalisation est une politique publique simple et efficace, avec une approche de santé publique et un respect pour les personnes qui consomment des drogues. L’exemple du Portugal le démontre parfaitement, et le pays qui avait promu la guerre à la drogue, les États-Unis pourrait bien suivre cette voie avec une proposition fédérale, un président ambitieux et une société civile dynamique. À nous de continuer sur notre pragmatisme helvétique et de suivre ces voies voire de jouer un rôle de pionnier au nom des droits humains et pour toutes les substances.

(Syntaxe corrigée le 22 juin)

Auteur(s)
Romain Bach