Politique internationale de contrôle des drogues
Derniers liens d'actualité à parcourir sur le sujet :
Juin 2016: Rapport mondial sur les drogues 2016 après l'UNGASS de l'UNODC [6]
Avril 2016: UNGASS à New York [7] et communiqué du GREA sur le résultat de ce sommet [8]
Mars 2016: Déclaration de l'IDPC en faveur d'une nouvelle politique mondiale des drogues [9]
Mars 2016: Revirement historique de l'Organisme de contrôle des drogues de l'ONU [10]
La faillite d'un système
Explosion des dépenses publiques, conséquences sanitaires dévastatrices, incapacité chronique à enrayer le développement du trafic et du crime organisé : tels seraient les résultats de cinquante ans de guerre contre la drogue. Un constat d’échec établi en juin 2011 déjà par la Commission globale pour la politique des drogues qui compte notamment dans ses rangs Kofi Anan, l’ancien président du Brésil Fernando Henrique Cardoso ou encore Javier Solana ancien Haut représentant de la politique de sécurité commune de l’Union européenne. Mais c'est son rapport de 2014 "Prendre le contrôle : sur la voie de politiques efficaces en matière de drogues" qui marquera les esprits.
De façon générale, la commission dénonce avec virulence la faillite du système international de prohibition et de répression des drogues et souligne à quel point, chiffres à l’appui, les politiques expérimentales basées sur la réduction des risques (Suisse, Royaume-Uni, Pays-Bas) voire les tentatives de décriminalisation globale (Portugal) produisent des résultats positifs. Or, dans un contexte international toujours dominé par l’idéologie des conservateurs américains des années’70, la marge de manœuvre des Etats est faible. Les conventions des Nations Unies imposent en effet aux pays membres de mener une politique axée, pour l’essentiel, sur la répression.
Le système international de prohibition des drogues
Pierre angulaire de la politique mondiale des drogues, la Convention unique sur les stupéfiants des Nations Unies voit le jour en 1961 et instaure le systeme international de prohibition. Elle interdit et règlemente le commerce à travers, notamment, l’établissement d’une liste internationale des stupéfiants. En 1971, la lutte contre les stupéfiants connaît un développement majeur lorsque le président Nixon déclare la drogue « ennemie numéro un des Etats-Unis ». Cette « guerre contre la drogue » instaure un nouveau paradigme puisqu’elle vise à combattre la drogue sur tous les fronts, y compris en réprimant les consommateurs par de lourdes peines de prison. Des mesures drastiques censées enrayer la consommatin d’héroïne qui explose alors à travers le pays suite au retour de milliers de GI’s devenus accros pendant la guerre du Vietnam. La répression de la consommation se généralise et prend une dimension internationale en 1988 lorsque les Nations Unies adoptent une convention qui contraint les Etats à poursuivre pénalement les consommateurs : « chaque Partie adopte les mesures nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale conformément à son droit interne, lorsque l’acte a été commis intentionnellement, à la détention et à l’achat de stupéfiants et de substances psychotropes et à la culture de stupéfiants destinés à la consommation personnelle (…) »
=> Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988, Art 3, al. 2 [11]
Vingt-cinq ans plus tard, cette convention fait toujours autorité au niveau international et les Etats qui tentent des approches moins répressives de la politique de la drogue sont montrés du doigt. C’est le cas, notamment de la politique suisse des 4 piliers, dénoncée par les instances de l’ONU alors qu’elle est souvent citée en modèle puisqu’elle a permis de diminuer les risques sociaux-sanitaires tout en réduisant le nombre de personnes dépendantes à l’héroïne (Incidence of heroin use in Zurich, Switzerland: a treatment case register analysis Carlos Nordt, Rudolf Stohler, Clinique universitaire de psychiatrie (PUK) de Zurich, in The Lancet, 2006; 367: 1830-1834).
Encore très idéologique, le dispositif international de lutte contre la drogue repose sur la croyance en la possibilité d’éradiquer complètement la consommation et la production de stupéfiants. Une croyance peut-être légitime il y a cinquante ans mais qui s’apparente aujourd’hui à un aveuglement ou a de la naïveté. Depuis les années’60, malgré une répression ininterrompue, le nombre de consommateurs de stupéfiants n’a cessé d’augmenter. A défaut d’atteindre ses buts, la prohibition a accéléré l’essor de réseaux mafieux souvent violents qui contrôlent aujourd’hui le marché. Elle contribue en outre à la marginalisation croissante des consommateurs de drogue.
Des conséquences dévastatrices
Réunis au sein d’un projet commun intitulé « Count the Costs » (Compter les coûts), des dizaines d’organisations, d’experts et de think tank, mènent une campagne active pour dénoncer les conséquences de la politique internationale de guerre contre la drogue. Ils ont identifiés, suite à la compilation de données et d’études scientifiques précises, sept conséquences dévastatrices:
1. Frein au développement. Les tentatives de développement dans les pays producteurs sont mises à mal par l’essor du trafic clandestin : Augmentation de la violence liée au développement d’armées privées ou au renforcement de juntes locales. Corruption politique, judiciaire, militaire et douanière (Ex : Afghanistan et Colombie).
2. Menaces sur la santé publique, notamment par le développement d’épidémies comme le VIH ou l’hépatite chez les usagers de drogues injectables. La guerre contre la drogue marginalise les usagers. En Russie on compte 1.8 millions de consommateurs de drogues injectables. 37% d’entre eux sont positif au VIH.
3. Atteintes aux droits humains. Dans plusieurs pays, la répression des usagers se manifeste par les incarcérations de masse, la torture et même l’exécution. Plus de 1000 personnes sont exécutées chaque année pour violation directe de la loi internationale
4. Stigmatisation et marginalisation. Par crainte de la répression, les usagers de drogue consomment dans la clandestinité. Ils sont progressivement marginalisés et donc privés de la plupart des possibilités de réinsertion.
5. Explosion de la criminalité et des profits illégaux. La drogue est de loin le commerce illégal le plus important et le plus rentable au monde. La prohibition a ouvert un boulevard à la criminalité et à la violence associée : Guerres de gangs pour la vente dans la rue, guerre de clans chez les producteurs, guerre de mafias pour la distribution internationale.
6. Déforestation et pollution. Chaque années des millions de litres de désherbants toxiques sont déversés par avion sur les plantations de coca en Amérique latine. Ces produits nuisent aussi cultures légales qui se situent à proximité et souillent les sols. En outre, ces fumigations contribuent indirectement à la déforestation puisque les producteurs de drogue abattent des centaines d’hectars d’arbres pour créer de nouvelles zones de production.
7. Coûts exorbitants. 100 milliards de francs sont dépensés chaque année dans cette guerre contre la drogue. Ce montant astronomique grève les autres budgets consacrés à la politique des drogues. Pourtant, seule une infime partie de cette somme suffirait à couvrir les besoins en matière de prévention et de réduction des risques.
=> Le rapport de Count the Costs [12]
Des réformes indispensables
Le constat d’échec de la politique internationale de guerre contre la drogue plaide pour une réforme du contexte international. A l’épreuve des faits, les principes fondateurs des conventions de l’ONU apparaissent comme des vœux pieux. La prohibition et la croyance en la possibilité d’éradiquer complètement la consommation et la production n’ont plus aucune crédibilité.
Ce cadre international obsolète et rigide constitue un frein majeur au développement de politiques innovantes dans le domaine des addictions. Lorsqu’elles voient malgré tout le jour, comme en Suisse, ces politiques pragmatiques fondées sur la réalité et les besoins du terrain aboutissent pourtant à des résultats significatifs. Il est donc possible d’envisager d’autres voies. L’expérience a d’ailleurs montré que certains Etats signataires des conventions de l’ONU s’arrogent une marge de manœuvre dans leur application. C’est ce qui a permis, non sans frictions, aux Pays-Bas de vendre du cannabis dans les coffee shop ou au Portugal de décriminaliser la consommation de drogue depuis 2001.
=> Dave Bewley-Taylor et Martin Jelsma, The UN drug control conventions - The Limits of Latitude, [13]mars 2012 [13]
Ces tentatives politiques sont toutefois rares car elles comportent des risques diplomatiques. Les vives critiques de l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants anéantissent, en effet, les velléités de changement au sein des Etats. En d’autres termes, le cadre international est devenu en matière de politique de la drogue, l’un des principaux facteurs d’inertie.
Afin d’encourager l’innovation, l’expérimentation et la recherche de solutions adaptées à des contextes qui évoluent vite, un nombre croissant de voix s’élève en faveur de la réforme des conventions et des institution onusiennes. L’ONU devrait ainsi se muer en une force d’impulsion en engageant sans attendre un grand débat sur la prohibition et en incitant les Etats à chercher des solutions pragmatiques basées sur la réduction des risques et la réglementation des substances psycho-actives.
Et c’est peut-être ce qui va se passer. Car l’idée de changer de paradigme fait son chemin, aussi sur le sol des Etats-Unis, qui portent pourtant à bout de bras la doctrine de la war on drugs sur la scène internationale. En 2013, les USA ont dû assouplir leur discours dans le cadre feutré de l’Organisation des Etats d’Amérique, où ils côtoient 34 autres nations voisines. Poussée par les pays latino-américains, l’OEA a diligenté une étude approfondie de la problématique des drogues sous ses multiples aspects afin d’esquisser des pistes permettant de sortir de l’impasse actuelle. Le rapport, publié en mai 2013, évoque la décriminalisation et la réglementation des drogues comme des scénarii plausibles pour obtenir les résultats que la politique répressive a échoué à atteindre. Jamais ces positions pragmatiques n’avaient été portées en si haut-lieu, et par un si grand nombre d’Etats. Dans la foulée, l’OEA a demandé, et obtenu, qu’une assemblée extraordinaire de l’ONU (UNGASS) se consacre exclusivement à la question de la drogue en avril 2016. Le GREA y a participé comme membre de la délégation suisse.
=> Lien sur les rapports de l'OEA [14]
Sur le plan très concret, les mentalités et les lois ont fait un bond de géant sur le plan du cannabis. En 2013, l'Uruguay est le premier pays au monde à légaliser le cannabis. Aux Etats-Unis, l'administration Obama annonce une volonté d'amoindrir les sanctions des crimes liés aux drogues en se concentrant davantage sur la santé publique. Plusieurs Etats légalisent par ailleurs la consommation de cannabis, dont notamment le Colorado - voté en 2012 déjà - mais aussi l'Alaska, l'Etat de Washington, et l'Oregon. Une bonne vingtaine le tolèrent (dépénalisation) ou l'autorisent à des fins médicales. Le cannabis est toujours illégal dans une autre petite vingtaine d'Etats. En octobre 2015, les nouvelles autorités libérales canadiennes annoncent qu'elles vont légagliser le cannabis.
Plus symbolique encore, en février 2016, le très conservateur Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) publie un rapport qui invite les Etats à réexaminer leurs politiques et pratiques.