
Le travail de recherche au GREA
Le GREA est une association qui regroupe une pluralité de professionnels actifs dans le domaine des addictions (travailleurs sociaux, formateurs, médecins, infirmiers, psychologues, universitaires, pairs praticiens, etc.), aussi les recherches qui y sont menées ont-elles pour ambition d’intégrer cette diversité. D’un point de vue organisationnel, cela se traduit par des activités de recherche conçues comme :
- Un processus collaboratif : les recherches sont accompagnées par des experts et travailleurs de terrain du domaine des addictions, représentatifs à la fois géographiquement et professionnellement parlant, et constitués en Groupes d’accompagnement.
- Un processus d’intervision : la portée, la méthodologie, les avancements ou encore les résultats font l’objet de discussions régulières visant à garantir la concertation, le dialogue et la production d’une forme de consensus.
Les recherches menées par le GREA sont indissociables des réalités et enjeux du terrain. Elles sont éminemment tournées vers l’action et visent à produire des résultats compréhensibles, accessibles et utilisables par l’ensemble des professionnels actifs dans le domaine des addictions. De par sa visée transformatrice, elle peut être définie dans une perspective épistémologique comme :
- De la recherche-action, au sens où il y a une implication des chercheurs dans les actions de terrain en tant qu’observateurs-participants ; de la même manière les « enquêtés » ne sont pas des « objets » d’étude, mais des « acteurs-sujet » qui participent à la co-construction et analyse des problématiques[1]. Il s’agit d’éviter ainsi la disjonction entre sujet et objet propre à la recherche classique fondée sur l’objectivisme.
- De la recherche à visée compréhensive : plus qu’une démarche hypothético-déductive et explicative, l’objectif est davantage la compréhension, soit cerner le sens et les significations que les acteurs donnent à leurs pratiques.
Ce processus de recherche ne s’accompagne pas pour autant d’un désengagement théorique. En effet, étant donnée la complexité et le caractère multi-facette du phénomène des addictions, le GREA s’appuie, combine et intègre les ressources théoriques et conceptuelles de plusieurs disciplines :
- La sociologie, notamment les courants mettant l’accent sur les interactions sociales[2], tel que la microsociologie interactionniste et constructiviste[3] issue de l’École de Chicago. Un effort est également fourni en vue d’articuler les microprocessus ou micro-épisodes – par exemple les pratiques de consommation des usagers au niveau local ou régional – avec les macrostructures, telles que la politique des drogues à l’échelle nationale en Suisse ou encore les conventions au niveau international.
- La sociolinguistique, dans la lignée des travaux d’Erving Goffmann ou encore de Pierre Bourdieu sur le thème de la socialisation et de l’importance du langage dans les relations de pouvoir et la violence symbolique.
- La psychologie sociale, notamment les réflexions autour des représentations sociales, dans le sens de connaissances collectivement élaborées et partagées dans une société donnée, et qui ont un certain nombre de fonctions, par exemple d’orientation, identitaire ou encore justificatrice (voir à ce sujet les travaux de Serge Moscovici et de Denise Jodelet).
- L’ethnographie, de par ses approches méthodologiques privilégiant le travail de terrain, l’observation et immersion participante dans une communauté ou contexte donné, et certaines réflexions autour de l’intersubjectivité et interactivité de ce type de démarche.
- Les sciences politiques et administratives, en l’occurrence à partir des acquis théoriques et méthodologiques en matière d’analyse des politiques publiques et sociales.
D’un point de vue méthodologique, outre la conjugaison de plusieurs disciplines et la recherche d’interdisciplinarité, le GREA s’attache à opérer des triangulations à plusieurs niveaux, afin de garantir la pertinence et exhaustivité des recherches et de leurs résultats :
- Entre les savoirs académiques et professionnels : prend parti d’articuler les connaissances théoriques d’ordre académique avec les savoirs et expériences pratiques des professionnels du terrain dans leur diversité, ce qui permet d’ancrer les réflexions dans le concret.
- Entre connaissances théoriques et expérientielles : les développements théoriques et méthodologiques récents, notamment dans le domaine de la santé mentale et des addictions, montrent qu’il est primordial de limiter les asymétries dans les relations patient-thérapeute en donnant également une place aux connaissances expérientielles. C’est dans cette optique que le GREA se situe : privilégier une démarche ascendante, inclusive, inductive et exploratoire.
- Au niveau des chercheurs et du groupe d’accompagnement des projets : le GREA privilégie un travail d’équipe et les regards croisés afin de remédier le plus possible à la subjectivité lors du processus d’analyse et interprétation des données.
- Au niveau des méthodes de la recherche : il s’agit de combiner plusieurs techniques et outils issus de différents types d’enquêtes : qualitative principalement, mais également quantitative ou encore documentaire.
- Les entretiens (semi-directifs, non-directifs, groupaux, etc.)
- Les focus groups
- Les sondages par questionnaire
- L'observation participante
- La recherche documentaire (rapports, littérature scientifique, presse, etc.)
- Les analyse de contenus et de discours (utilisation de logiciel CAQDAS)
- Sur le plan des sources d’informations : là aussi, on retrouve de nombreuses combinaisons possibles selon les recherches qui sont menées, par exemple :
- Des données recueillies auprès de différents publics cibles dans le cadre d’une enquête donnée
- Des données qualitatives (provenant par exemple d’entretiens) avec des données quantitatives (statistiques).
- Des informations primaires (recueillies par exemple dans le cadre d’un travail de terrain) avec des informations secondaires (rapports, articles, documents officiels, etc.)
Un dernier aspect fondamental de la recherche du GREA est qu’elle s’inscrit dans le respect des valeurs humanistes véhiculées par sa charte. Dans cette optique, l’inclusion, la solidarité et la participation sociale, en particulier des personnes concernées par les addictions, occupent une place centrale dans la démarche méthodologique.
[1] La notion de « recherche-action » trouve historiquement son origine dans les travaux de recherche menés par le psychologue Kurt Lewin (1890 - 1947), notamment sur la dynamique de groupe. En effet, sa particularité réside aussi bien dans son caractère collectif, participatif et collaboratif que dans ses visées d’intervention et transformation sociale dans un contexte donné, ce qui implique également un certain positionnement et implication du chercheur. Durant la deuxième moitié du XXème siècle, ce type d’approche a été adopté et s’est développé dans une pluralité de champs socio-professionnels, notamment éducatif ou encore du travail social où, pour reprendre la définition de l’Université d’Oxford, « les interventions sont des stratégies de changement intentionnellement mises en œuvre qui visent à entraver ou à éliminer les facteurs de risque, à activer et/ou à mobiliser les facteurs de protection, à réduire ou à éliminer les dommages, ou à introduire des améliorations au-delà de l'éradication des dommages ».
[2] L’idée fondamentale derrière le courant dit de l’ « interactionnisme symbolique » étant que les pratiques/actions des personnes sont orientées par le sens qu’ils leur attribuent, ce qui rejoint la perspective compréhensive. Il y a ainsi une prise en compte des subjectivités interpersonnelles et du processus d’interprétation (qui constituent des terrains mouvants et dynamiques en perpétuelle redéfinition).
[3] L’un des postulats du « constructivisme social » est qu’il n’existe pas de réalité qui soit une vérité objective, mais de multiples réalités qui se construisent à travers le langage et les discours, ce qui n’empêche pas qu’il y ait une certaine vision du monde – ou doxa – dominante dont la légitimité est reconnue. Le fait que certaines conceptions du monde social ou politique s’imposent et semblent « aller de soi » passe par un processus d’objectivation de la subjectivité. L’usage puis la progressive désuétude de termes tels que « junkie » ou « toxicomane » montrent comment certaines conceptions subjectives s’imposent, mais également le dynamisme du processus, soit comment ces mêmes conceptions s’effacent et s’affaiblissent au profit (ou au détriment, selon le point de vue) d’autres visions.