Les enjeux
Le 19 mars 2010, le Conseiller national Toni Bortoluzzi (ZH/UDC) déposait une initiative parlementaire «Coma éthylique. Aux personnes en cause de payer les frais des séjours hospitaliers et en cellule de dégrisement! ». Ce texte (10.431) vise une révision de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal) et d’autres lois de manière à ce que les soins d’urgence ou les frais de dégrisement requis lors d’une une consommation excessive d’alcool soient entièrement à la charge des personnes qui s’y adonnent. Une mesure jugée inefficace et dangereuse par l’ensemble des acteurs de terrain confrontés au problème. La plupart des cantons ont en effet mis au point des dispositifs de prise en charge très perfectionnés. Ils permettent, non seulement, d’apporter les soins vitaux de premier secours, mais aussi de prévenir la récidive avec des résultats très efficaces. Lorsqu’il a passé une nuit aux urgences et qu’on lui propose un suivi alcoologique au réveil, le patient alcoolisé est en effet rarement enclin à répéter l’expérience. Or, l’initiative prive une partie des patients de cette prise en charge décisive. Elle nie le principe de solidarité du système des assurances santé et implique que ceux qui n’ont pas les moyens financiers pour se payer des services de soins d’urgence seront laissés dans la rue, parfois en danger de mort.
De quoi parle-t-on ?
L’initiative parlementaire du Conseiller national UDC zurichois Toni Bortoluzzi a pour objectif de dissuader la consommation abusive d’alcool et de responsabiliser les patients pris en charge pour intoxication alcoolique en leur attribuant personellement les coûts de cette prise en charge. Ceci, à moins qu’ils ne soient dépendants à l’alcool, auquel cas ils sont considérés comme malades et continuent d’être pris en charge par l’assurance de base.
Après l'avoir approuvée en octobre 2013, par 16 voix contre 8, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique national (CSSS-N) a adopté en juin 2014 sa proposition de modification de la loi fédérale sur l’assurance-maladie, faisant suite à l'initiative parlementaire de Tony Bortoluzzi (UDC/ZH), et a décidé de lancer la procédure de consultation y afférente. C’est un jour sombre pour une politique cohérente des addictions.
L’avant-projet de la CSSS-N, visant à faire payer les personnes ayant besoin d’un traitement médical à la suite d’une consommation excessive d’alcool, a été mis en consultation jusqu'au 31 octobre 2014. Elle a recueilli une très vive oppositions dans les milieux de la santé, des soins, des syndicats et du champ des addictions. Seul le canton de Thurgovie l'approuve parmi les cantons. Les partis PBD, PLR, JUDC et UDC sont aussi favorables. Le Groupe mutuel, l'USAM et la FAMH (les laboratoires médicaux suisses) vont plus loin que la proposition Bortoluzzi. Selon eux, il serait logique d'appliquer la mesure à d'autres comportements à risques mais encore de faire payer les coûts directs de ces comportements.
En avril 2015, la commission persiste malgré tout et décide de maintenir ce projet dans la révision de la loi par 13 voix contre 11 et une abstention. Le Conseil fédéral a quant à lui fait part de sa décision le 1er juillet. Il rejette le projet car il intègre la notion de la faute dans la LAMal; le projet crée un précédent avec l'alcool sans tenir compte d'autres comportements à risque; les jeunes et les personnes au revenu modeste pourraient mettre leur santé en danger de peur de supporter les coûts. Contre toute attente, le 22 octobre 2015, la CSSS-N par 12 voix contre 9 et 1 abstention propose de classer le projet car il n’est guère applicable, qu’il pourrait même avoir un effet contraire à l’effet recherché et qu’il introduirait le principe de faute dans l’assurance obligatoire des soins. Le 17 décembre 2015, c'est le Conseil national qui porte un coup fatal au projet par 97 voix contre 85 et 11 abstentions. Le communiqué de l'ats.
Faits et chiffres
En 2010 en Suisse, près de 12'000 personnes ont été hospitalisées pour des intoxications alcooliques, dont 1'200 jeunes de moins de 24 ans [1]. Près de la moitié des personnes de 45 à 74 ans hospitalisées pour des intoxications alcooliques sont dépendantes à l’alcool [2].
A notre connaissance, aucun pays n’a mis en œuvre une mesure telle que celle préconisée par l’initiative parlementaire Bortoluzzi. Il est donc extrêmement difficile de savoir si cette initiative permettrait de réduire les cas d’intoxication alcoolique. Par contre, certaines interventions ont été évaluées largement et sont considérées comme efficaces pour lutter contre les dommages dus aux intoxications alcooliques.
Evaluations des mesures existantes
De nombreuses mesures existent déjà et ont fait leur preuve. Des évaluations et des études existent qui en attestent. Elles sont recensé pour chaque type de mesures:
[1] Wicki, M., "Hospitalisierungen aufgrund von Alkohol-Intoxikation oder Alkoholabhängigkeit bei Jugendlichen und Erwachsenen - Eine Analyse der Schweizerischen Medizinischen Statistik der Krankenhäuser 2001-2010", Addiction Suisse : 2012.
[2] Addiction Suisse, "Tendances de consommation et politique des dépendances : Rapport de monitorage d'octobre 2013 à mars 2014", avril 2014, p.11.
[3] Addiction Suisse, "Pas d'exception au principe de solidarité". URL = http://www.addictionsuisse.ch/actualites/article/pas-dexception-au-princ.... Page consultée le 4.06.2014.
[4] Assemblée fédérale - Parlement suisse. Consultation "10.431 - Iv.pa. Coma éthylique. Aux personnes en cause de payer les frais des séjours hospitaliers et en cellule de dégrisement !" URL = http://www.parlament.ch/f/dokumentation/berichte/vernehmlassungen/10-431.... Page consultée le 8.07.2014.
Autres ressources vidéos/audios:
> Débat dans Forum de la RTS du 23.10.2014
> Emission Vacarme de la RTS du 6 au 10.10.2014
Les points qui fâchent
- L’initiative cible les jeunes mais 90% des personnes hospitalisées pour alcoolisation aigüe ont plus de 24 ans [3].
- L’initiative remet en cause le principe de solidarité au fondement de la LAMal : La responsabilité du patient ne doit pas être un critère qui détermine le droit aux prestations. Le risque d’ouvrir une brèche est immense. Après l’alcool, l’alimentation ? Le manque d’activité physique ?
- L’initiative contraire à la Constitution suisse dont l’article 12 nous garantit d’obtenir de l’aide en situation de détresse.
- La mesure est difficilement applicable. Comment déterminer qui est dépendant et qui ne l’est pas ? La distinction est souvent peu évidente. En outre, avoir deux systèmes de facturation générerait un surcoût administratif pour les services d’urgences.
- L’intiative est dangereuse et contraire à la déontologie médicale. Elle génère l’apparition d’une médecine à deux vitesses et implique un risque mortel pour des patients qui ne seraient pas acheminés aux urgences par crainte des conséquences financières.
- L’initiative minimise la nature préventive de la prise en charge aux urgences. Il s’agit en effet souvent d’un moment privilégié pour établir une discussion avec le patient, l’amener à refléchir à sa consommation et proposer un suivi thérapeutique.
- La mesure implique une réponse individuelle à un problème de société. Or les problèmes liés à l’alcool dépendent largement du contexte notamment Suisse où l’alcool est très largement accessible et peu cher.
Liste de mesures de prévention réalisées par les professionnels en Suisse romande
Les professionnels de la prévention mènent déjà un nombre d’actions considérables dont ils reconnaissent l’utilité pour lutter contre les intoxications alcooliques.
Voici, par thème, une liste des mesures réalisées en Suisse romande :
Prises de positions et communiqués
- Communiqué de Conseil fédéral où il rejette le projet du 01.07.2015
- Prise de position de la Croix-Bleue romande du 22.10.2014
- Prise de position des Hôpitaux de Suisse du 15.09.2014
- Communiqué des associations professionnelles "Coma éthylique : une punition qui n'apporte rien" du 04.07.2014
- Commision fédérale pour les problèmes liées à l'alcool du 21.05.2014
- Prise de position de la CDS du 10.04.2014
- Addiction Suisse du 20.08.2013
- Communiqué des associations professionnelles "Intoxications éthyliques : une décision irresponsable" du 16.08.2013
- CSAJ du 15.08.2013
- Positions des associations professionnelles du 13.08.2013