Révision de la loi sur les jeux d’argent

La nouvelle loi sur les jeux d'argent (LJAr) a été adoptée par le Parlement le 29 septembre 2017. Elle met en œuvre l'article constitutionnel que près de 87 % des votants et tous les cantons ont accepté le 11 mars 2012. Elle intègre des dispositions des lois en vigueur sur les maisons de jeu et sur les loteries. Les jeux de casino, les loteries et les paris sportifs continueront d'être soumis au régime de l'autorisation. Un référendum sur la nouvelle loi a été déposé et sera soumis au peuple le 10 juin 2018. La Coalition, dont fait partie le GREA, ne soutient pas ce référendum.

En parallèle, le 2 mars 2018, le Conseil fédéral a lancé la consultation sur les ordonnances relatives à la loi sur les jeux d'argent. Les dispositions soumises à la consultation ont pour objectif de clarifier divers aspects et apportent une réponse transparente à des questions qui étaient encore en suspens, avant que la population ne se prononce sur le référendum relatif à la loi sur les jeux d’argent en juin 2018.

La Suisse révise sa législation sur les jeux d’argent. Cette révision prévoit de mieux coordonner les cantons (loteries) et la Confédération (casinos) dans la régulation et la surveillance du marché des jeux d’argent en Suisse et d’ouvrir le marché des jeux d’argent sur internet. Les mesures de protection des joueurs restent cependant selon le GREA et l’ensemble des partenaires du réseau socio-sanitaire.

Cette page focus propose une information sur l’évolution du domaine des jeux d’argent, ainsi qu’un descriptif des enjeux qui sont mis en discussion dans cette révision. Elle est alimentée et mise à jour au fur et à mesure de l'évolution du dossier.

 

Historique

Les jeux d’argent et de hasards ont été régulés en Suisse pour la première fois en 1874, (modification art. 35 de la Constitution). Les loteries et paris ne subissent aucun changement, mais les maisons de jeu sont interdites. En 1920, l’interdiction des maisons de jeu est renforcée et de nouveau assouplie (1928) pour promouvoir le tourisme (les Kursaals avec jeu de boules sont autorisés). Suite à une votation populaire en 1993, l’article 35 Cst est modifié et remplacé par l’art. 106 qui réintroduit les maisons de jeu en Suisse. La loi sur les maisons de jeu (LMJ) est ainsi adoptée le 8 décembre 1998 et entre en vigueur le 1er avril 2000. Vingt-et-une concessions de casinos sont aujourd’hui attribuées en Suisse, le secteur est surveillé par la Commission fédérale des maisons de jeu (CFMJ).

En 1923, la Loi sur les loteries et les paris est créée (LLP), les loteries à but d’utilité publique restent tolérées. En 2001, la Confédération souhaite réviser la LLP, pour l’adapter aux valeurs actuelles de la société, comprenant entre autres le développement de moyen pour lutter contre la dépendance au jeu. Les 26 cantons préfèrent s’organiser entre eux et adoptent une convention intercantonale en janvier 2005 (CILP), qui verra l’instauration d’une taxe pour la prévention de la dépendance au jeu de 0,5% sur le produit brut des jeux de loteries et paris en Suisse (Art.18); un organe de surveillance est instaurer: la Commission des loteries et paris (COMLOT).

Dès lors la régulation du marché est bicéphale, avec deux organes de surveillance qui régulent les jeux d’argent en Suisse: la CMFJ au niveau fédéral et la COMLOT au niveau intercantonal. Cette situation provoque une certaine concurrence entre ces deux niveaux de gouvernance. En effet, derrière les jeux d'argent, il y a la manne fiscale qui lui est liée. «L’affaire des Tactilos », où l’on a vu la Confédération et les cantons régler leurs différends durant plusieurs années devant les tribunaux - les uns considérant les Tactilos comme des machines à sous, les autres comme des loteries électroniques - illustre cette opposition et les difficultés du contexte.

Le 10 septembre 2009 la Loterie Romande dépose une initiative populaire: « Pour des jeux d’argent au service du bien commun ». L’objectif de cette initiative est de définir les compétences de la Confédération et celles des cantons. Le Conseil fédéral propose un contre-projet amenant au retrait de l’initiative. Le 11 mars 2012 le peuple suisse plébiscite le contre-projet et son nouvel article constitutionnel (106 Cst) par 87%, mais sans réel débat. Le projet de loi entre en consultation à partir d’avril 2014 et le Conseil fédéral adopte le projet de loi en octobre 2015.

Actuellement, le projet de loi a été accepté par les deux chambre, quelques divergences restent à régler, il n'y a pas de référendum annoncé ; les revendictions des milieux de la prévention (voir ci-dessous) ont globalement été rejetées.

 

Enjeux de la loi

Le nouveau texte de loi regroupe dans une seule loi (loi sur les jeux d’argent – LJAr), les deux lois encore en vigueur : la loi sur les maisons de jeu (LMJ) et la loi sur les loteries et paris (LLP). Voici un court aperçu des éléments principaux qui concernent directement les milieux de la prévention.

  • Augmentation de l’offre: les casinos suisses pourront également développer une offre de jeux de casino en ligne. Les sociétés de loterie le font déjà. L’objectif du législateur est ici de réguler le marché des jeux en ligne, ce qui permet potentiellement de mieux protéger les joueurs et de lever un impôt sur un secteur jusqu’ici illégal en Suisse. La défiscalisation des gains de loteries et la libéralisation du poker augmentent encore l'attractivité de l'offre de jeu.
  • Responsabilité pour les cantons: le projet de loi prévoit que les cantons sont tenus de prendre des mesures de prévention contre le jeu excessif (art.83 LJAr).
  • Financement de la prévention: actuellement 0,5% du revenu brut des jeux d’argent de loterie et paris est attribué à la prévention. Cette disposition est réglée dans le concordat intercantonal (CILP, Art.18). La nouvelle loi, si elle donne la responsabilité aux cantons pour s'occuper du jeu excessif, aucun financement supplémentire n'est prévu. C'est un des grand manque du projet de loi. Les milieu de la prévention, soutenu par plusieurs cantons, ont demandé lors de la consultation l'élargissement du fiancememnt de la prévention par les casinos également.
  • Protection de la jeunesse: la jeunesse est un public particulièrement vulnérable par rapport aux jeux d’argent. Une confrontation trop précoce peut l’amener à développer un comportement à risque, d’où l’importance des mesures de restriction d’accès, de diminution de la visibilité des offres de jeu et d’une prévention ciblée. Le projet de loi prévoit un accès à 18 ans sauf pour certains jeux de loteries.
  • Publicité: la nouvelle loi interdit la publicité adressée aux mineurs et la publiclité mensongère (faire croire que l'on peut devenir riche en jouant par exemple).
  • Coordination: le nouvel article constitutionnel mentionne à l’alinéa 7 (art.106 Cst) que « La Confédération et les cantons coordonnent leurs efforts dans l’accomplissement de leurs tâches…», par exemple concernant l’homologation des jeux et la prise en compte de leur dangerosité. Des mécanismes de coordination contraignants et efficaces doivent être mis en place pour réduire la concurrence entre Cantons et Confédération.
  • Commission d'experts: durant tous les travaux de l'élaboration de la loi, une commission consultative d'experts du jeu excessif était intégrée au projet. Le Conseil fédéral en a décidé autrement contre toute attente et la retiré de la version finale du projet de loi présenté aux Chambres fédérales. C'est l'autre grand manque de cette loi qui de fait est vidée de sa substance par rapport à des objectifs annoncé (par le Conseil fédéral lui-même!): assurer la protection de la population.

Plusieurs acteurs se sont unis dans une coaltion nationale pour défendre une meilleure protection des joueurs. La coalition est composée de: Addiction Suisse,  la Conférence suisse des activités de jeunesse (CSAJ), Dettes Conseils Suisse (DCS), NAS-CPA (Coordination politique des addictions), Fachverband Sucht, GREA, Radix, la Société suisse de médecine des addictions (SSAM), Ticino Addiction.

La coalition demande que le dispositif de protection des joueurs soit renforcé par:

  • l’introduction d’un dispositif de financement de la prévention de la part de tous les opérateurs
  • la réintroduction de la commission consultative sur la protection des joueurs.
  • La mise en place d'un système de limitation de l'accès aux automates de jeu électronique pour les mineurs 

 

Le jeu excessif

Les jeux d'argent et de hasard peuvent être une activité amusante, pour qui sait contrôler ses mises et le temps qu’il y consacre. Le but des jeux d'argent reste cependant de gagner de l'argent. Les chances de succès sont, en revanche,  très minces à court terme et nulles à long terme. C’est pourquoi, cette activité comporte également des caractéristiques qui peuvent s'avérer très dangereuses.

Les problèmes de jeu sont aujourd’hui considérés comme un problème de santé. En 1980, le terme « jeu pathologique » entre dans le DSM III, puis dans la CIM (catégorisations des maladies de l’Organisation mondiale de la santé). Le jeu pathologique est devenu de ce fait le premier trouble addictif reconnu qui n’est pas lié à un produit. Ce type de trouble fait partie de la catégorie des nouvelles formes d’addiction que l’on appelle aussi « addictions sans substance » ou « addictions comportementales » (achats compulsifs, troubles alimentaires, addiction au sexe, etc.). Sont considérés comme joueurs excessifs l’ensemble des joueurs problématiques (à risque) et des joueurs pathologiques. Il n’existe pas de profil type du joueur excessif, le jeu excessif peut toucher tous les âges et toutes les catégories sociales de la population. Les statistiques indiquent cependant que ce problème se manifesterait plus souvent chez les personnes de sexe masculin, jeunes, avec un statut socioéconomique modeste.

Faits et chiffres

En 2016, le produit brut des jeux d’argent s’est élevé à : 1'686.7 millions CHF. Sur cette somme, 953.1 millions ont été reversés à l’utilité publique (impôt sur les maisons de jeux + redistribution des bénéfices des loteries). Pour une juste compréhension de la situation, il faut également intégrer le coût social du jeu excessif estimé par l’Université de Neuchâtel entre 551 et 648 millions CHF par an[1]. En 2014, seulement 4,8 millions ont été versés aux cantons pour prévenir et prendre en charge les problèmes de jeux d’argent, c’est bien peu alors que la prévention reste le seul moyen de diminuer la facture sociale !

Produit brut du jeu en Suisse (1995-2016)

Source : GREA

  • Le produit brut des jeux d'argent en Suisse en 2016 s'élève 1'686.7 millions CHF. 689.7 millions pour les casinos et 997 millions pour les loteries (Loterie Romande : 398 millions; Swisslos : 599 millions).
  • La prévalence à vie du jeu excessif en Suisse est de 3,3%. 2,18% joueurs à risque, 1,14% joueurs pathologiques[2]. Ce qui correspond à environ 220'000 personnes majeures en Suisse[3]. La prévalence chez les mineurs s'élève à 6%, ce qui est deux fois plus élevé que chez les adultes[4].
  • Parmi les joueurs excessifs, 90% sont endettés, 65% ont des problèmes de santé psychique et 49% ont des problèmes de santé physique[5].
  • Pour chaque joueur excessif, 5 à 17 personnes de l'entourage vont subir des conséquences négatives[6].
  • Le jeu excessif coûte chaque année entre 551 et 648 millions de francs suisses à la collectivité, ce qui fait un coût par joueur et par année compris entre 15'000 et 17'000 francs[7].
  • Le chiffre de 5'475'095 correspond aux nombres d'entrée dans les casinos en 2012[8].
  • 50'262 personnes étaient exclues des maisons de jeu au 31 décembre 2016[9].

 

Les conséquences du jeu excessif

Conséquences financières:
Les problèmes financiers (endettement et surendettement) représentent la première cause de demande d'aide de la part de joueurs excessifs. Les pertes d'argent sont caractérisées par des dettes, factures non payées, crédits multiples. La dette moyenne des joueurs en traitement s'élève à 257'000 CHF. 17% des joueurs excessifs se sont mis en faillite personnelle.[10]

Coût social du jeu pathologique en Suisse:
L'institut de recherche économique de l'Université de Neuchâtel estime que le jeu excessif coûte chaque année entre 551 et 648 millions de francs suisses à la collectivité, sous forme de dépenses de santé additionnelles, de production non réalisée et de perte de qualité de vie liée à la santé. Le coût social par joueur pathologique et par année est compris entre 15'000 et 17'000 francs.[11]

Conséquences conjugales et extra familiales:
Conflits conjugaux et familiaux, mensonges, violence verbale/physique, séparation ou divorce sont des situations inhérentes au jeu excessif.
Près d'un quart des joueurs qui consultent sont divorcés ou séparés. Pour près de la moitié des joueurs excessifs divorcés, le jeu est en partie à l'origine de la séparation ou du divorce.

Conséquences sociales:
Isolement et précarisation sont également des conséquences fréquentes du jeu excessif. Isolement social notamment dû aux emprunts réalisés auprès d'amis et aux proches, généré  par une certaine honte. Les problèmes de jeu d'argent restent le plus souvent cachés. Les demandes de soutien de la part des joueurs pathologiques interviennent en Suisse, environ 5 ans après le début des problèmes de jeu.

Conséquences sanitaires:
Dépression – stress – honte – culpabilité – désespoir - idées suicidaires avec ou sans passage à l'acte. Plus du tiers des demandes d'aide liées au jeu excessif sont associées à des idées suicidaires lors de la première consultation. Les données de l'enquête menée auprès des centres de consultation montrent une proportion – très élevée – de 21% de personnes présentant des tendances suicidaires. D'autres problèmes tels que les troubles alimentaires, la dépendance au travail, les troubles du sommeil ou le recours excessif aux services de prostituées sont également mentionnés.

Comorbidités:
Près des trois quarts des joueurs qui consultent ont une autre consommation problématique addictive : tabac : 60%, alcool : 40%, stupéfiants : 4%.
Chez les jeunes, on note une association statistiquement significative entre le fait d'être un joueur à risque / problématique et l'usage problématique d'Internet, ainsi que la consommation de tabac, alcool, cannabis et autres drogues illégales.

Conséquences professionnelles:
Retard - absentéisme – irritabilité - manque de concentration - licenciement.
18% des joueurs qui consultent sont au chômage, cette proportion est beaucoup plus élevée que dans l'ensemble de la population (3%).

Conséquences judiciaires:
Activités illégales : vols - détournements d'argent - suites pénales ou civiles.
15% des joueurs qui consultent font l'objet d'une procédure pénale pour abus de confiance, détournement de fonds, escroquerie ou vol d'argent avec effraction.
(Sources des données chiffrées : BASS, 2004)

 

Qui s'occupe de jeu excessif ?

En Suisse, les politiques publiques en matière d'addiction sont mises en œuvre par les cantons. La Confédération a développé un cadre de référence sur les addictions avec substances (drogues, tabac, alcool) mais en excluant le jeu excessif. Les professionnels s'accordent à dire que ce concept devrait être élargi à ce thème.
Hormis la surveillance des casinos, la Confédération n'a pas de compétence sur ce domaine.

Ce sont les cantons qui supportent les problèmes du jeu excessif. Dès 2006, sur la base d'une convention intercantonale, les cantons ont instauré une taxe de 0,5% sur le produit brut des jeux de loterie et paris pour la prévention. La Suisse romande a fait office de pionnier en instaurant dès 2007 un programme intercantonal de lutte contre la dépendance au jeu (PILDJ), ce qui a permis entre autre, la mise en place d'une permanence téléphonique gratuite et anonyme fonctionnant 24h sur 24h (0800 801 381), d'un site internet d'information (www.sos-jeu.ch) ainsi que des mesures de prévention et de formation. Les mesures prises sont ainsi coordonnées au niveau intercantonal, alors que le dispositif de prise en charge (traitement médico-social) est développé à l'interne des cantons. Ces offres de soutien permettent aux personnes concernées d'être rapidement orientées vers les centres d'aide près de chez eux ou de bénéficier d'un premier contact avec des spécialistes, ce qui est une première étape souvent nécessaire avant d'entreprendre un suivi plus important.

Il existe en Suisse romande deux centres entièrement consacrés au jeu excessif, il s'agit du Centre du Jeu excessif à Lausanne (www.jeu-excessif.ch) et de l'association Rien Ne Va Plus à Genève (www.riennevaplus.org). Au niveau national, les cantons alémaniques se sont également récemment regroupés sur des modèles intercantonaux similaires au modèle romand, à l'exception des cantons de Zürich et du Tessin qui développent leur propre programme.

Les opérateurs prennent également en considération le problème du jeu excessif. La Loterie Romande et Swisslos ont mis en place depuis plusieurs années une politique du « jeu responsable » visant à rendre le joueur attentif aux différentes facettes des jeux et à les informer sur le réseau de soin existant. Les casinos doivent mettre en place des programmes de « mesures sociales » afin de limiter les conséquences dommageables des jeux d'argent.

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[1] Claude JEANRENAUD et al., « Le coût social du jeu excessif en Suisse. », Université de Neuchâtel, 2012.
[2] Guido Bondolfi et al., "Prevalence of pathological gambling in Switzerland after the opening of casinos and the introduction of new preventive legislation" in Acta Psychiatrica Scandinavica, 2008, N°117, 236-239
[3] Eurostat, calculs effectués par le GREA, 2014.
[4] Joan-Carles SURIS et al., « La problématique du jeu chez les adolescents du canton de Neuchatel », in Raison de santé, N° 192, 2011
[5] Sophie ARNAUD, Gabriel FUEGLISTALER et al., « Etude sur le jeu excessif à Genève », in Raisons de santé, N°195, Lausanne : IUMSP, 2012, 81
[6] Grant Kalischuk et al., "Problem gambling and its impact on families: A literature review" in International Gambling Studies, 2006, 31-60
[7] Claude JEANRENAUD et al., op. cit.
[8] Commission Fédérale sur les Maisons de Jeux, 2014
[9] Commission Fédérale sur les Maisons de Jeux, 2016
[10] Bureau d'études de politiques du travail et de politiques sociales, « Les  jeux  de  hasard  et  la  pathologie  du  jeu  en  Suisse», Mandat  de  la  Commission  fédérale  des  maisons  de  jeu  et  de  l'Office  fédéral de la justice, 2004
[11] Claude JEANRENAUD et al., op. cit.