Charte du Groupement Romand d'Etudes des Addictions

La charte du GREA 

La Charte a une portée éthique (valeurs communes) et politique (lignes directrices). Les valeurs partagées sont fondamentales et premières; c'est donc à partir d'elles que l'orientation politique se conçoit et s'énonce.

Texte de référence, la Charte est une plate-forme qui manifeste les positions et intentions du GREA. Elle permet à la fois de prendre des positions publiques, de mener des négociations et une action participative avec les autorités. Simultanément, elle sert de point de repère et de base de réflexion à ses membres; elle affiche nos valeurs.

A travers elle, le GREA cherche à renforcer le dialogue entre les personnes, groupes et institutions concernés par les questions d'addiction, à faire circuler l'information entre le champ sanitaire et social et le champ politique. La Charte est un texte qui veut inciter à la réflexion, à l'analyse, à la discussion et au débat. Son ambition est en effet de "désintoxiquer le discours" et de créer un espace pour la concertation: en abordant les choses dans leur complexité et en refusant du même coup les thèses simplificatrices; en adoptant une position pragmatique et ouverte, pour éviter la "guerre des idéologies".

 

Définitions 

On entend par addiction l'émergence d'un symptôme issu de multiples facteurs, à la fois médicaux, psychologiques et sociaux, impliquant la perte de maîtrise de l'usage du produit. La personne confrontée à des problèmes d'addiction est une personne dont la consommation de produits psychotropes et/ou les conduites compulsives (jeux, web, etc.) ont atteint un seuil qui ne lui permet plus d'être autonome face à son projet de vie et à ses relations sociales. Le GREA différencie les notions de consommation, d'abus et de dépendances, notamment pour éviter de stigmatiser la consommation récréative modérée et contrôlée de substances psychotropes qui ne pose pas de problème particulier.

 

Nos valeurs 

Au niveau de la société 

Aucune société ne peut exister sans solidarité et sans lien social entre les groupes humains qui la composent (interdépendance). Les phénomènes migratoires, le type de rapports économiques, la globalisation de l'information, les changements de normes et valeurs dus à la mondialisation économique produisent, notamment, perte des liens sociaux et des solidarités, marginalisation et exclusion de nombreuses populations. Les personnes confrontées à des problèmes d'addiction peuvent en faire partie. Dès lors, les valeurs exprimées ici s'inscrivent dans le registre des politiques et des interventions allant dans le sens de l'insertion ou de l'intégration. Elles nous rappellent qu'une personne exclue est "le produit" d'une société excluante. En ce sens, le concept de promotion de la santé ou, mieux encore, de promotion de la qualité de vie - prenant en compte les notions de santé physique, psychique et d'intégration sociale - nous semble exprimer le sens de notre modèle. Le GREA souhaite donc :

  • donner la priorité à la promotion de la santé et à la prévention;  
  • le renforcement des solidarités et des liens sociaux;  
  • le respect du pluralisme culturel et des minorités;  
  • la prééminence de la complémentarité sur la compétitivité, de la coopération sur la performance. 

De manière générale, le GREA estime que les questions liées à la consommation de produits stupéfiants résultent des interactions entre les valeurs et les normes produites par une société et les individus qui la composent. Ainsi, ces problèmes doivent régulièrement faire l'objet de débats démocratiques.

Au niveau de la personne 

A l'esprit de la déclaration universelle des droits de l'homme, le GREA emprunte quelques positions et valeurs significatives :

  • le respect de la personne et de ses choix, en fonction de ses possibilités, y compris la responsabilité de ses dépendances;  
  • la prise en compte de la globalité de la personne;  
  • l'idée que l'addiction, même la plus prolongée, doit être considérée comme une situation provisoire et réversible.

 

Nos priorités dans l'action

1. Promotion de la santé et prévention

Au-delà d'une prévention fondée sur les facteurs de risque, la promotion de la santé vise au renforcement du tissu social et favorise les choix autonomes des personnes et des groupes auxquels elle s'adresse. Elle a aussi pour objectif de développer les compétences sociales, définies comme des aptitudes que la personne acquiert - par apprentissage dans de longues phases de confrontation avec elle-même et avec autrui - sur le plan des émotions, de la sensibilité et de l'intelligence. Le GREA soutient une politique préventive pluridisciplinaire portant sur l'abus d'alcool, de drogues, de tabac et de médicaments - s'adressant à toutes les catégories de personnes - qu'il s'agisse de campagnes d'information générale, de programmes spécifiques destinés à des publics à risque ou encore aux personnes directement concernées.

2. Traitements

Les traitements sont organisés en interaction avec des personnes, des groupes, des populations: l'intervenant et l'institution mènent donc avec ces individus et leur environnement une réflexion portant sur des changements choisis et voulus par eux. Le traitement veut favoriser la recherche d'alternatives et les choix autonomes, le développement des compétences sociales ainsi que l'apprentissage et la gestion des risques par les personnes concernées. Le GREA défend la mise en œuvre de traitements diversifiés propres soit à favoriser l'abstinence, soit à soutenir activement des projets d'aide à la santé ou de réduction des risques. Il soutient également différents programmes tels que: offres différenciées de traitement, de sevrage et prise en charge ambulatoire ou résidentielle à moyen et à long terme, prescription de méthadone, remise contrôlée d'héroïne avec encadrement médico-psycho-social. Il préconise :

  • l'accès aux soins et aux moyens d'améliorer sa qualité de vie;
  • l'accès aux droits et devoirs liés à la citoyenneté et la responsabilisation de la personne face à ses droits et devoirs;
  • l'orientation du soutien en fonction de la souffrance et non du type de produit;
  • l'accès à des traitements de qualité, diversifiés et adaptés aux besoins de la personne.

3. Redécouvrir les compétences sociales et valoriser l'apprentissage

Pour que des personnes dites marginalisées puissent opérer un changement de leur mode de vie, il est indispensable qu'elles parviennent à mobiliser et développer leur capacité d'agir sur les relations qu'elles entretiennent avec les autres et sur les règles qui régissent leurs conditions de vie. L'intervenant doit accorder aide et soutien aux personnes confrontées à des problèmes d'addiction. Il est cependant au moins aussi important que les deux partenaires mettent en place un processus d'apprentissage: entrer dans une dynamique interpersonnelle, créer un lieu de confrontation, s'engager dans un espace de transition permettant à la personne dépendante de sortir de l'impasse, de développer un projet de vie qui lui permette de valoriser ses compétences sociales - tout cela afin qu'elle gère de façon acceptable les aspects positifs et négatifs de la vie en société. Conséquemment, la prévention et le traitement supposent à l'échelle nationale un contrat social démocratique (respect des minorités) et une politique sanitaire et sociale préventive et non stigmatisante. Cette option implique, pour devenir opérationnelle, la coopération de toutes les collectivités du pays et la mise à disposition de ressources suffisantes, tant sur le plan financier qu'au niveau des compétences professionnelles.

 

Notre orientation politique

Le GREA contribue à promouvoir une politique globale en matière de promotion de la santé, de prévention et de traitement des addictions. En ce sens, il estime que la distinction entre produits légaux et illégaux est aujourd'hui dépassée et engendre des incohérences, des mesures arbitraires et des injustices. Aussi soutient-il une politique axée prioritairement sur la prévention, s'attachant au traitement et à la réduction des risques, tout en admettant la nécessité d'une politique concernant la production et la commercialisation des substances psychotropes, y compris sur le plan international. Le GREA préconise aussi la dépénalisation de la consommation de tous les produits stupéfiants. En effet, l'interdiction légale a prouvé son inadéquation en ce domaine. A cette interdiction pénale - qui s'impose par la force de la loi et dont la punition est le corollaire - le GREA oppose l'interdit qui renvoie à un ensemble de pratiques culturelles ou sociales tacitement admises réglant tel ou tel aspect du comportement personnel ou interpersonnel. L'interdit relève plutôt des moeurs et s'applique à travers l'éducation, la formation, l'information et la prévention. Ainsi, il est possible de nuancer l'espace qui sépare la dépénalisation de la légalisation. Pour faire connaître ses réflexions, le GREA participe aux débats par des prises de position auprès des Autorités concernées et du grand public.

Conscient qu'il n'existe pas de solution définitive au problème des addictions et que notre société doit trouver la manière la plus adéquate d'y faire face dans le respect des droits de l'homme et de ses libertés, le GREA préconise:

  • de favoriser les politiques et les actions qui permettent l'intégration des groupes marginalisés et des personnes en danger d'exclusion
  • d'adopter une stratégie globale à l'égard des substances psychotropes, afin d'éliminer ou tout au moins de réduire l'incohérence des distinctions actuelles entre produits légaux et illégaux
  • de renforcer le contrôle et la distribution des produits plutôt que la répression des consommateurs
  • de développer la formation - interprofessionnelle - des intervenants
  • d'encourager la participation des acteurs sociaux à la mise en place des politiques liées aux dépendances
  • de tenir compte des questions d'addiction dans l'élaboration des politiques de santé publique, de la famille et de la jeunesse
  • de créer un observatoire des addictions de manière à suivre de près l'évolution des produits et de leurs modes de consommation.

 

Edition modifiée et acceptée à l'Assemblée générale du 3 avril 2003

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